Archives mensuelles : mai 2015

Bilan d’un échec -

Bilan d’un échec

Alors que nous sommes sur la route pour aller rendre les véhicules en Namibie avec l’équipe avant de reprendre un vol vers Paris. (Depuis 3 jours pas d’internet!)
Serge n’était pas un marin et j’entends déjà les commentaires, c’est normal, sans expérience comment voulez vous y arriver?
Pour information, une majorité de personnes qui ont traversé l’océan atlantique à la rame n’avait aucune expérience maritime et pour certains n’avaient jamais dormi sur un bateau, ni même l’entraînement que Serge avait. L’entraînement sur un bateau à rames est toujours compliqué car vous êtes dépendant de tierces personnes, de bonnes conditions de vent et de courants, des marées… etc etc, sortir en mer avec un bateau à rames coûte de l’argent et nécessite une grosse organisation. Serge s’est entraîné plus que certains et moins que d’autres, mais il était prêt.

Pour revenir à ce fameux canal du Mozambique:
Pourquoi Majunga – Angoche ? Cette route a été réalisée par Erden Eruç et était faisable même si d’une année à l’autre, d’une saison à l’autre, les conditions ne sont pas les mêmes et que l’arrivée sur la côte n’aurait pas non plus été simple.
Particularité du canal du Mozambique : C’est un canal comme son nom l’indique, non un océan. Ici sévissent des courants et des vagues aléatoires et dans tous les sens à quelques milles de distance. C’est un endroit où la navigation y est difficile même pour des voiliers et où les marins ne s’y aventurent pas la fleur au fusil sur leur navire de plaisance. Nous savions que ce serait la partie maritime la plus technique à la rame et la plus compliquée.

Première erreur dans les choix possibles:
Après 6 jours aux prises dans ce tourbillon: Cap ouest pris trop tôt, il y a là aussi plusieurs raisons – mauvaise communication entre Serge et les routeurs sur le cap à tenir en ce 22 avril en fin de journée, vent d’Est présent qui éloigne Serge de la côte et Serge souhaitant se mettre à l’abri d’un éventuel « rabattage » sur la côte. Le 23 avril il était trop tard et personne n’a réagi, Serge le premier, jusqu’au 27 avril pour tenter autre chose. Nous avons trop attendu. Serge a un problème de dessalinisateur insoluble, là c’est la malchance!
Serge analyse aussi un peu plus loin la chose, « je n’étais pas aussi frais que j’aurai dû l’être avec 1000km dans les jambes et 2 jours d’arrêt qui ne furent pas du repos puisqu’il fallait préparer le bateau! »
Cette voie Nord, lui a été présentée comme une solution possible même si elle était plus longue et une logistique plus simple sur Pemba qu’à Angoche pour la gestion du bateau, c’était sans compter la proximité de Mayotte et Grand Comores, une zone où la clandestinité est légion et où le repos est impossible. Mais nous avons tous opté pour cette route et n’avons pas retenu la possibilité de retour sur Majunga pour un deuxième départ par une route sud.

Avec le recul, cette route nord était hasardeuse si l’on prend en compte que la rame ne suffit pas à contrer le vent et les alizées du sud-est et que la marge de manoeuvre est de 20° avec un vent non favorable et un courant peu puissant. Une fois passé Grand Comores, c’était voué à l’échec même si les routeurs annoncent à Serge le mardi 4 qu’il atteindra les côtes du Mozambique le vendredi soir. Mercredi soir, le vent se durcit et j’apprends par les locaux que cela va se durcir encore pour atteindre son paroxysme vendredi, samedi et dimanche. Serge est déjà affaibli physiquement et ce mercredi soir, il a toute conscience qu’atteindre le Mozambique est un leurre même si on lui dit encore le contraire et cela jusqu’au jeudi, jour où les routeurs lui annoncent une arrivée sur les côtes le dimanche soir. Pour les coureurs à pied, imaginez vous sur un 100km et au 80ème on vous annonce qu’il ne reste pas 20km mais 40km à un moment où vous êtes épuisé et où les conditions ne sont pas bonnes. Quel serait alors votre moral… Mais là Serge n’a pas le choix de jeter l’éponge il est dans sa galère.
Le jeudi, je commence à lui dire de faire attention à lui, de bien s’attacher que les conditions ne vont pas être faciles sans imaginer qu’il sera au coeur d’une tempête mais je sais que ça va secouer. D’ailleurs il me le confirme. La journée de jeudi, Serge mettra le nez dehors 5 heures, la mer est trop formée pour rester sur le pont. Et là pas de chance, son téléphone intérieur BGan ne fonctionne plus. Les communications vont dès lors être compliquées. C’est à nouveau pas de chance.
Le vendredi ce sera silence radio de la part des routeurs. Cette fois, Serge est dans la tempête et comme Serge le dira « lorsque tu sais à quoi t’attendre tu peux t’y préparer si tu ne sais pas c’est pire ». Cependant il est lucide et mes recommandations sur le fait que cela va secouer vont faire qu’il va préparer sa cabine à un éventuel retournement.
Une autre erreur, Serge ne visionnait pas les cartes de vents et de courants, étant guidé par les routeurs qui lui donnait son cap à suivre 2 fois par jour. Serge suivait le cap qui lui était donné ou tentait de le suivre avec tous les éléments mis à sa disposition, le safran, les ancres flottantes et la dérive et Dieu sait que c’était sa première priorité avec la sécurité. Serge restait attaché tout le temps dès qu’il était dehors. Il a tout fait pour suivre le cap demandé jusqu’à ramer un peu plus le soir, et tôt le matin et se lever X fois par nuit pour vérifier son cap, mettre ou enlever l’ancre flottante, jouer de la dérive, ajuster le safran.
Alors voilà, Serge s’est retrouvé dans une tempête sans s’y attendre réellement, il a compris tout seul qu’il n’atteindrait jamais les côtes et qu’il était en perdition sans savoir quand cela s’arrêterait et où cela allait le mener tout en s’inquiétant de savoir si nous allions pouvoir nous à terre pourvoir le récupérer un jour et où avec la crainte que les batteries ne lâchent et qu’il ne puisse plus être « tracé ».
Ce vendredi 8 mai, Serge et moi avons été seuls face à la tempête et si quelques jours avant la mer était « d’huile » dans cette zone, ce vendredi 8 mai, Serge s’est retrouvé seul dans un état physique entamé, avec pour seul objectif de garder toute sa lucidité et sa vigilance et de se préparer au pire, soit à se retourner.
le vendredi 8 mai à 21H45, j’appelle Maxime pour savoir ce qui est prévu au niveau météo pour le samedi et le dimanche et si la dérive continue où elle est susceptible d’emmener Serge et Middleton, il me répond que si ça continue comme cela plein nord, ce sera au large des côtes du Kenya et de la Somalie. Je raccroche et Serge doit me rappeler le samedi matin à 5H00. Avec ces éléments, il m’apparaît irraisonnable et irresponsable de laisser continuer Serge à dériver d’autant que j’ai peur qu’il se blesse ou ne s’assomme, c’est le risque lors des retournements. Autre malchance, les batteries depuis 3 jours montrent des signes de faiblesse! Et Serge commence à se dire que sans batteries, il ne sera plus localisable.
Est ce bien raisonnable de laisser Serge subir encore cette tempête 24 heures de plus ? Et si oui pour être où après? Dans une zone où les pirates s’en prennent aux petites embarcations pour faire des ôtages? La Somalie est une zone de non droit alors quand vous voyez cette dérive plein nord à vitesse grand V, vous vous demandez quelles sont les solutions où la solution la plus raisonnable.
Vendredi 8 mai à 22H00: Serge rappelle 3 secondes « Déclenches les secours »
Pour reprendre une image terrestre, si un coureur se retrouve au milieu du désert perdu dans une tempête de sable et qu’il ne sait plus où il est ni où il va que fait il? Et que ses moyens de communication sont entrain de faiblir ou ne fonctionnent que partiellement sans doute s’arrêterait il et déclencherait-il pas sa balise? Dans le cas de Serge, il n’y avait pas d’arrêt possible lui qui dérivait à 8km/ heure soit environ 200km en 24H00!
Serge sera resté 60 heures sans pouvoir rien faire, juste subir une mer déchainée bien malgré lui et il ne s’agit pas là d’incompétence ou de nullité. Il est resté calme, bien content d’être seul dans sa galère sans coéquipier à bord. Il est resté lucide se rappelant son stage de survie, rester lucide à tout prix. Il est resté nu dans sa cabine hermétique à transpirer portant son casque et calé avant de dire stop vendredi à 22H00. Cette dernière nuit, il s’est retourné à la merci de cette mer déchainée.
Voilà où nous auront menées quelques erreurs mais surtout une succession de malchances. Sachez que Serge marin ou pas, était tributaire d’un bateau à rames, sans voile, sans moteur, et qu’il fallait jouer avec des vents et des courants portants qui ne furent jamais au rendez-vous pendant 16 jours (exceptée la remontée fulgurante vers le nord entre le 28 et 30 avril). Il aura fait tout son possible pour suivre le bon cap sur une route Nord qui était somme toute difficile à tenir, voir impossible, avec pour comble de malchance cette tempête localisée où Serge se situait.
Bateau: Lorsque les secours ont été déclenchés, nous savions qu’il y avait une chance sur deux pour que Middleton ne soit pas remorqué. Le capitaine d’un navire se doit de récupérer l’individu en détresse mais pas le matériel et il est seul maître pour le décider. Serge est monté à bord du Far Scotsman en demandant à ce que Middleton soit remorqué, il apprendra tardivement que celui-ci n’a pas pu l’être malgré 2 tentatives par l’équipage à bord. A 9H30, je savais que Middleton avait été abandonné.
Tout le monde à fait son maximum: Serge mais aussi les routeurs, le capitaine, Timothy Boyd et son équipage du Far Scotsman. Nous les remercions chaleureusement.
Toute cette histoire ne relève ni de l’inconscience, ni de l’irréalisme, ni d’une idée folle. Ce qui était fou c’était cet enchaînement Terre-Mer et Mer-Terre. Mais voilà l’échec est cuisant, l’abandon de navire manifeste et Serge assume pleinement. Lundi il a passé sa journée à répondre à la presse, là où certains auraient sans doute fuit et refusé de parler.
Nous avons mis 2 ans à nous réveiller, à nous endormir, à respirer, à transpirer « Tour du Monde ». Nous réalisions la difficulté et surtout la longueur de ce challenge. Je savais Serge capable de tenir en mer car la solitude ne lui a jamais pesée et il a des ressources insoupçonnées. Mais là, Serge était passé sur la réserve, le voyant rouge était allumé et il ne savait pas combien il lui restait d’autonomie bien qu’il dise que dans des situations de survie, cette réserve est inépuisable, ce que nous appellerons l’instinct de survie.
Serge a été récupéré en état d’extrême faiblesse et marqué psychologiquement. L’histoire ne nous dira jamais ce qu’aurait été la suite de cette dérive infernale! Sans doute est-ce mieux ainsi? Nous n’avons pas de regrets d’avoir déclenché les secours mais nous sommes tous en état de choc et la cicatrice va mettre du temps à se refermer.
J’ai des tas de remerciements à adresser, concernant ces jours pénibles que nous venons de vivre. Je ferai un nouveau texte à ce sujet. Juste succinctement, merci à mes équipiers René, Bertrand et David qui ont vécu cette crise avec beaucoup de sang froid. Merci à tous de vos messages qui affluent et auxquelles je ne peux répondre sans pleurer…. Merci du fond du coeur!

Fin du Tour du Monde -

Dimanche 10 mai à 20H00, le Tour du Monde s’arrête définitivement. Nous venons de nous faire voler 10 000€ de matériel vidéo, c’est la cerise sur le gâteau!
Nous avions évoqué la possibilité de reprendre la route vers Walvis Bay, de trouver un bateau … etc, etc. Serge ne pouvant admettre que cela puisse s’arrêter là, mais l’état des finances n’est pas joyeux et racheter un bateau de toute façon inenvisageable à moins de faire un prêt personnel à la banque! Bref, cela ne nous a pas empêché de regarder les cartes et de tirer des plans sur la comète tous plus ou moins réalistes. Suite au vol de ce soir, il faut se rendre à l’évidence plus de bateau, plus de matériel pour rapporter un film sur la partie africaine. Quelle sera la prochaine étape!
Il est 20H00, fin de l’histoire.
Ce lundi 11 mai, sera un jour de communication pour nous. Prévenir l’AFP soit la presse, nous n’avons jamais eu autant d’appels. Prévenir, les partenaires, les amis, la famille, les souscripteurs…
Serge vit son premier abandon sur un tel challenge mais la raison l’a emporté. Depuis vendredi matin, la situation n’est plus maitrisable et Serge part comme une flèche direction le Nord. Les vagues se durcissent jusqu’à 4 mètres, elles n’ont pas un sens déterminé et leur fréquence est très rapprochée. Un vent de 6 à 7 sur l’échelle de Beaufort soit entre 25 à 30 noeuds rend la dérive incontrôlée et incontrôlable. Serge a vécu 60 heures enfermé dans sa cabine sans manger, Middleton est submergé par les vagues qui viennent s’éclater sur le hublot de la cabine. Serge qui après 15 jours de déboires est épuisé n’en peut plus. Il se prépare au retournement et met son casque, se cale et cale tout son matériel dans Middleton. Il va faire plusieurs « loopings » mais Middleton auto-redressable se remet d’aplomb et continue à encaisser cette mini tempête. Sur le Far Scotsman, ce n’est pas facile non plus, Serge apprendra que l’équipage n’a pas pu dormir cette nuit là et la moitié d’entre eux vomissaient.
On dira que Serge est arrivé au mauvais moment au mauvais endroit mais quoiqu’il en soit Pemba ou Palma n’était pas possible et cette dérive nord le menait tout droit au large du Kenya ou de la Somalie.
Cette traversée du Canal du Mozambique est une aventure en soit où tout à été de travers dès le premier soir lorsque le cap a été pris trop tôt par Serge ( il y avait du vent d’est, Serge avait peur d’être top près des côtes et de se faire rabattre à marée descendante et le cap était un peu flou à partir de 18H00, ce soir là). Bref, Serge est parti dans un tourbillon infernal comme en atteste le tracé sur le site. Et là, l’épuisement a commencé, Serge se levant 12 fois par nuit pour aller régler son safran, ramant comme un damné pour tenter de sortir de cette impasse. Au bout de 6 jours, on décide de lui apporter des solutions sachant qu’à ce moment là, les routeurs me disent qu’ils n’auraient pas dû attendre aussi longtemps. Je commence à m’intéresser aux cartes de Sat Ocean pour mieux comprendre.
Le 28 avril, après 6 jours de lutte. 3 options sont proposées:
– Trouver un bateau depuis Madagascar et tracter Serge sur 15 km. Serge est passé à 15 km des bonnes conditions de vent et de courant (cela laisse rêveur lorsque l’on connaît la suite). Mais vous aurez compris que l’on ne trouve pas un bateau comme cela dans les pays d’Afrique et que nous n’avons pas trouvé de bateau d’assistance comme nous l’avions envisagé avant le départ de Majunga.
– Retour sur Majunga et prendre un nouveau départ
– Option Nord proposée par Maxime et Xavier de Sat-Océan, d’après leurs statistiques, cela est possible d’arriver sur Pemba mais une question se pose: Middleton peut-il y être accueilli ? En 15 minutes, j’ai la réponse oui, le bateau peut y être réceptionné. Serge leur rappelle que Middleton sur les vents de travers n’a que peu d’amplitude de manoeuvre et leur demande combien de jours cela prendra- 13 jours et ils prennent bonne note de la sensibilité de Middleton avec sa haute cabine par vent de travers. L’option nord est validée par tous.
Serge remonte de façon fulgurante, les alizés sont là, le courant fort et favorable. 100 milles nautiques parcourus en 2 jours. Problème d’eau résolu par le CROSS, auquel nous renouvelons nos remerciements. Puis là, le stress recommence, Mayotte puis Grand Comores, il ne faut ni être trop prêt, ni trop loin puis le passage de Grand Comores. Serge rame, Serge cogite, Serge avance et n’a pas confiance, les nuits sont de mauvaise qualité, beaucoup de bateaux (et pas les petites navettes de clandestins) de gros bateaux sans lumière qui viennent pêcher la nuit de façon illégale, tenir un cap, ne pas trop dériver pendant la nuit. Un état nauséeux quasi permanent, une fatigue physique qui s’accumule jour après jour en même temps que la tension nerveuse. Et puis la promesse d’une arrivée vendredi soir, peut-être un peu optimiste ou hâtive qui devient vite dimanche soir et la météo qui se gâte, je réalise vendredi matin qu’il faut vite partir et agir car Serge file plein nord. Un courant portant après Grand Comores qui devait le mener tout droit dans la bonne direction mais que les alizées du Sud-Est contrarie. Middleton à une marge de manoeuvre de 20° sur des vents de travers il ne peut remonter le vent lorsque celui-ci le frappe à 90°. Impossible. Serge rame et les routeurs pensent qu’il ne rame pas. Je me rends compte qu’il y a un grand décalage entre la réalité sur le terrain que Serge vit avec son Middleton qui n’est pas manoeuvrable et ce que nous voyons sur le tracker et les cartes.
Manque de bol, le téléphone Inmarsat tombe en panne le jeudi matin, les batteries montrent des signes de faiblesses et le temps se gâte. On ne parle pas de la tempête du siècle mais suffisamment importante pour que les petits bateaux ne prennent pas la mer surtout les petites embarcations de plaisance. Serge en se retournant avec Middleton a perdu une partie de sa réserve d’eau et puis cette dérive dingue le mène où …..
Le canal du Mozambique est un enchèvretement de vents et de courants, la route sud manquée, cette route nord était ambitieuse voir impossible ou avec de la chance, que Serge n’a franchement pas eue. Une multitude de petits éléments qui viennent se coller les uns aux autres et Serge qui part direct en Somalie. C’est le comble. Le laisser dériver pourquoi pas dans un océan avec de l’espace en sachant qu’il y a de la place et que vous n’allez pas tout droit dans des zones actives de piraterie (pour info le bateau qui secouru Serge a 2 bateaux escortes avec 8 militaires à bord lourdement armés! En ce moment sur la zone de l’Océan Indien, 3 navires militaires français. On peut se poser la question pourquoi?) Bref, que faire de Serge en Somalie et que faire s’il manque d’eau, s’il s’assomme lors des retournements de bateau jusqu’à dimanche que cela se calme. Serge est dans un état de dénutrition avancée, combien de temps aurait-il tenu à ce rythme. Il ne pensait même plus qu’il pouvait manger, ni à la faim, me dira-t-il?
Si Middleton avait pu être remorqué, nous aurions pu envisager de continuer même si pour les puristes il aurait manqué des milles nautiques qui n’auraient pas été ramés, tout étant toujours sujet à caution. Alors voilà, la question ne se pose même pas. Middleton « is Lost » et la malchance nous poursuivant même sur Terre, il est temps d’arrêter et de rentrer à la maison. L’issue de cette histoire aurait pu être dramatique si nous n’avions pas agi, elle n’est certes pas réjouissante mais voilà Serge a dû atteindre ses limites physiques et mentales. Et la route va être longue pour celui qui n’est pas allé au bout de ses rêves!

Course poursuite contre la montre -

Depuis Nord Grand Comores, et les prévisions de vent sur zone, Serge sait que l’objectif ne sera jamais atteint. Il a cette certitude. Le tapis roulant de courant attendu n’est qu’un leurre si l’on tient compte du sens du vent qui sévit ici. Serge comprend très bien la situation. Après avoir beaucoup donné, peu dormi depuis 2 semaines, il sent que ses forces s’amenuisent et a peur de perdre sa lucidité et de se mettre en danger. Lui aussi dérive dans les méandres de sa conscience.
Mercredi 6 mai: Serge comprend qu’il ne pourra pas atteindre Pemba, je sens l’urgence, il faut agir car Serge est épuisé, je le sens dans sa voix, dans les quelques phrases que nous échangeons. Nous devons aller le récupérer pour le remettre dans le droit chemin voir vers un cap qu’il pourra tenir et le mettre à l’abri des mauvaises conditions météos qui arrivent.
Jeudi 7 mai : lueur d’espoir – Serge a maintenu un cap raisonnable au vu des conditions, il a pu ramer 4 heures passant le reste du temps enfermé dans sa cabine. Middleton a une marge de manoeuvre de 20° maximum lorsque les vents ne sont pas favorables. Lorsque le vent surtout soutenu arrive à 90° sur Middleton, impossible de tenir un cap. Rame ou pas rame de toute façon, l’objectif sud est ne peut être tenu. Serge le sait, je le sais, c’est juste du bon sens!
Vendredi 8 mai : Alerte rouge. Serge à 5H00 du matin, m’appelle il a toute conscience qu’il est à la merci d’une mer déchainée et nous savons que les conditions déjà difficiles vont se durcir jusqu’à dimanche. Il ne peut rien faire et subit cette remontée plein nord, impuissant. Il va si vite que je me demande si nous le rattraperons un jour. En 2 heures de temps, nous préparons les véhicules et nos affaires et nous prenons la route vers la Tanzanie en espérant que le ferry pour passer la frontière la plus proche fonctionne car sinon nous mettrons 4 jours pour rejoindre la Tanzanie. Notre urgence ne peut pas attendre 4 jours et j’espère que nous aurons de la chance. Un contact sur Palma, auquel j’ai demandé de se renseigner sur le sujet me dit que le ferry fonctionne. Ouf, nous prenons donc cette direction!
Escale à Palma pour la nuit, chez Andre qui nous offre une douche chaude. Nous dormirons dans les véhicules. Aucune nouvelle de Serge jusqu’à 19H00. Il m’appelle toujours en état d’alerte car son téléphone intérieur ne fonctionne plus depuis hier et il ne peut téléphoner que de dehors avec son Iridium. Il attend un bateau que nous avions trouvé sur Mtwara pour venir le récupérer mais je sais à cette heure précise que ce bateau ne prendra pas la mer: Serge est trop loin des côtes – Bateau pas assez puissant pour affronter ces conditions de mer.
Comme d’habitude lorsqu’il faut prendre une décision rapide dans un cas d’urgence, je pose les solutions avec les éléments que j’ai. Maxime me dira que Serge ne pourra pas atteindre la côte même plus haut lorsque l’Océan se sera calmé, ou peut être en Somalie…. David de Mtwara ne prendra pas la mer avec son petit bateau et nous à notre niveau on ne peut plus monter plus haut que la Tanzanie. Serge est en perdition dans un état qui commence à être critique et si les choses restent telles qu’elles sont, ce sera bientôt le pronostic vital de Serge qui risque d’être engagé.
Serge et moi devons nous rappeler samedi matin à 5H00 si nous y arrivons car comble de malchance, la communication n’a jamais été aussi mauvaise depuis jeudi, sans compter les réseaux téléphoniques déplorables des pays où nous sommes!
Ma décision est prise, demain je dirai à Serge qu’il vaut mieux pour lui que les choses s’arrêtent! J’appelle le CROSS, juste pour les aviser que Serge est en difficulté et en pleine dérive incontrôlée et incontrôlable mais que nous ne demandons pas d’intervention pour le moment. Il doit être entre 20H00 et 21H00.
22H00: Serge me joint par téléphone et me demande de déclencher les secours, je lui réponds que je ne vois plus d’autre solution, de toute façon et la communication coupe!
L’opération sauvetage débute, nous allons « dormir » 4 heures. Serge sera récupéré dans plusieurs heures et rapatrié soit sur Mayotte soit à Mtwara. Pour moi Mayotte est une destination qui représente une nouvelle galère tandis que nous serons demain sur Mtwara.
A 5H30, nous partons de Palma direction la frontière dont la piste est défoncée, nous planterons un des 4×4 dans une ornière boueuse. Puis nous arrivons au ferry qui relève plus de la barge. Celui ci traverse la rivière Ruwuma pour rejoindre la berge d’en face à 400 mètres de là.
A 7H30, la barge s’échoue sur un banc de sable, nous sommes coincés à 100 mètres de la berge et nous passerons 10H00 sur cette barge en attendant que la marée remonte et décoince notre embarcation. Entre 8H30 et 9H30, j’aurai le Cross 3 fois que je joins avec mon téléphone satellite. Pas de réseau ici! Pendant cette heure, je suis les opérations de sauvetage de Serge.
L’équipage du Far Scotsman a bien récupéré Serge à bord: OUF
Ils débarqueront Serge à Mtwara OUF OUF OUF car 1/2 heure plus tôt coincés sur la barge subissant les évènements, le Cross me dit qu’il y a des chances pour qu’il soit transféré à Mayotte par un bateau de la marine française.
Middleton n’a pas pu être remorqué – STUPEUR. Nous sommes anéantis
Les heures vont passer doucement, très doucement sur cette barge jusqu’à ce que nous en soyons libérés à 17H00. 5 km plus loin, se tient le poste frontière Tanzanien. Papiers pour les véhicules, visas, nous sommes en règle en un temps record, il est 19H00. Je n’ai aucune nouvelle de Serge car nous n’avons pas de réseau et je ne connais pas le numéro satellite du navire. Je sais juste qu’il est entre de bonnes mains. Il fait nuit, la piste est « pourrie », nous décidons de dormir au poste de police où nous sommes, pas la peine de prendre de risques de nuit, d’autant que le CROSS m’a dit que le bateau n’arriverait pas avant dimanche soir au mieux à Mtwara, à 40 km de notre position.
Nous dormons dans nos véhicules pour la seconde nuit. A 6H30, nous prenons la route direction Mtwara. David avec lequel j’ai été en contact, le propriétaire de l’unique bateau à moteur du coin, nous attend. Il est 7H45, lorsque nous arrivons. Je n’ai toujours pas pu parler à Serge et j’ai vu qu’il avait essayé de m’appeler depuis un téléphone sat. Nous venons tout juste de récupérer du réseau.
David de Mtwara, qui connait le capitaine du Far Scosman m’apprend à la descente du véhicule que le navire est à quai. Serge est avec les autorités Tanzanienne à bord. Nous sommes le dimanche 10 mai au matin, et je me demande dans quel état d’esprit je vais retrouver Serge.

Direction le nord -

5H00: Serge m’appelle je venais de me réveiller
Il hurle presque au téléphone, panique à bord. « Je dérive nord, comment vous aller faire pour me récupérer …. cela va durer 2 minutes pour que je lui dise que nous montons nous aussi et que nous trouverons des solutions pour le récupérer, il me dit je t’appelle mais je rentre car c’est démentiel, je ne peux pas rester dehors »
Serge dérive à vitesse grand V comme c’était prévisible vues les conditions de vent assez extrêmes sur la zone ce jour et demain et déjà hier où Serge n’a pas pu tenir un cap plus sud. Il ne peut rien faire et reste enfermé dans sa cabine.
Nous sommes ce soir à Palma et demain en Tanzanie, je me démène pour trouver un bateau mais tout est compliqué et je n’ai ni le temps ni le loisir de vous expliquer cela maintenant en tout cas ce fut pas moins de 20 échanges mails depuis ce matin jusqu’à midi alors que nous roulions vers le nord, j’avais encore le PC portable sur les genoux et l’indispensable clé 3G
Je voulais prévenir cette situation plutôt que la subir et là c’est Serge qui subit +++
Son téléphone BGan ne fonctionne plus, et je sais que c’est compliqué pour lui d’être dehors pour appeler.
Les nerfs tiennent ici, et la dérive de Serge continue, et je ne sais pas comment va Serge, juste que le point avance sur le site. Je viens d’avoir Serge au téléphone, vous dire qu’il va bien serait un bien grand mot et il ne va pas bien du tout. Il ne peut absolument plus rien controler sur Middleton juste dériver et dériver encore sans pour autant pouvoir aller West.
Je ne sais pas si j’aurais l’opportunité de mettre le site à jour mais j’essaierai de faire passer un message sur la bande déroulante du site.
Je commence à comprendre aussi une chose, dans des pays où il y a peu de bateaux, les gens ne bougent qu’en situation de crise. Serge n’est pas en situation de crise, il n’a pas déclenché de balise de détresse. Et donc si situation de crise il y a, il faut contacter le Cross. Ce soir je les appelle donc juste pour les aviser de la situation.

L’aventure continue avec un grand A -

A 6H30, ce matin un petit déjeuner en équipe avant que chacun ne vaque à ses occupations. Non sans avoir eu Serge au téléphone 30 secondes qui semblait dans un état second. Le téléphone de la Fleet Broad Band ne fonctionne plus, l’antenne intérieure de son Iridium ne fonctionne pas. Du coup, il est contraint de sortir pour nous appeler et il semblait important pour Serge de pouvoir communiquer ce jour, plus que n’importe quel autre jour! Il ne faut pas compter sur le réseau téléphonique Mozambiquais qui fonctionne ou pas comme si votre fournisseur téléphonique faisait des blocks out plusieurs heures par jour voir plusieurs jours d’affilé, donc pas de réseau. Il en est de même pour l’électricité ou l’eau courante dans les villes, sans préavis cela coupe pour un temps indéterminé. Ainsi à Pemba, il y a eu de gros soucis d’alimentation générale en électricité, il y a quelques mois de cela et pendant 2 mois, plus d’alimentation électrique du tout dans tout Pemba. Ceux qui le peuvent compensent par des groupes électrogènes!
Pour en revenir à Serge, il est inquiet. Inquiet de savoir où il est, où il va avec un vent important et des vagues impressionnantes. Il a depuis 2 jours attaché son ancre flottante pour minimiser la dérive vers le nord. Je vous invite à regarder les cartes de Sat Océan en page d’accueil qui donnent une bonne idée de la situation pour qui a envie de comprendre. Je n’y connaissais rien et sans y connaitre davantage, cela me fait mieux comprendre la situation.
Il y a 2 jours, nous pensions que Serge arriverait vendredi près des côtes mais ce matin, le délai se rallonge et cela Serge ne peut l’encaisser sereinement, dans un stress permanent, ce jour il a peur de cette mer déchainée et semble complètement désemparé. Nous ne parlons plus d’objectif avec lui mais de se rapprocher de la côte car nous ne savons pas si les conditions permettront à Serge d’atterrir ici ou là. Avec un bateau à rames, on n’accoste pas comme on veut où on veut!
Quoiqu’il en soit John a passé la matinée à remuer ciel et terre avec tous ses contacts pour essayer de solutionner la trouvaille d’un bateau dont nous avons impérativement besoin pour rejoindre Serge à quelques milles des côtes et si nécessaire le remorquer vers le sud s’il atterrit en Tanzanie.
Pendant ce temps, René a oeuvré pour terminer le support du bateau qui ressemble à une remorque. Ce fut un boulot de titan depuis lundi pour que tout soit prêt ce jour. La pression lâche un peu chez lui.
Demain, nous finaliserons encore quelques détails sur Pemba et nous nous tiendrons prêts à prendre la route vers le nord, destination Palma, en espérant que nous n’aurons pas besoin d’aller en Tanzanie!
Video de David en ligne qui donne une petite bouffée d’oxygène en vous montrant à quoi ressemble la vie au bord de l’océan!

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