Bilan d’un échec
Alors que nous sommes sur la route pour aller rendre les véhicules en Namibie avec l’équipe avant de reprendre un vol vers Paris. (Depuis 3 jours pas d’internet!)
Serge n’était pas un marin et j’entends déjà les commentaires, c’est normal, sans expérience comment voulez vous y arriver?
Pour information, une majorité de personnes qui ont traversé l’océan atlantique à la rame n’avait aucune expérience maritime et pour certains n’avaient jamais dormi sur un bateau, ni même l’entraînement que Serge avait. L’entraînement sur un bateau à rames est toujours compliqué car vous êtes dépendant de tierces personnes, de bonnes conditions de vent et de courants, des marées… etc etc, sortir en mer avec un bateau à rames coûte de l’argent et nécessite une grosse organisation. Serge s’est entraîné plus que certains et moins que d’autres, mais il était prêt.
Pour revenir à ce fameux canal du Mozambique:
Pourquoi Majunga – Angoche ? Cette route a été réalisée par Erden Eruç et était faisable même si d’une année à l’autre, d’une saison à l’autre, les conditions ne sont pas les mêmes et que l’arrivée sur la côte n’aurait pas non plus été simple.
Particularité du canal du Mozambique : C’est un canal comme son nom l’indique, non un océan. Ici sévissent des courants et des vagues aléatoires et dans tous les sens à quelques milles de distance. C’est un endroit où la navigation y est difficile même pour des voiliers et où les marins ne s’y aventurent pas la fleur au fusil sur leur navire de plaisance. Nous savions que ce serait la partie maritime la plus technique à la rame et la plus compliquée.
Première erreur dans les choix possibles:
Après 6 jours aux prises dans ce tourbillon: Cap ouest pris trop tôt, il y a là aussi plusieurs raisons – mauvaise communication entre Serge et les routeurs sur le cap à tenir en ce 22 avril en fin de journée, vent d’Est présent qui éloigne Serge de la côte et Serge souhaitant se mettre à l’abri d’un éventuel « rabattage » sur la côte. Le 23 avril il était trop tard et personne n’a réagi, Serge le premier, jusqu’au 27 avril pour tenter autre chose. Nous avons trop attendu. Serge a un problème de dessalinisateur insoluble, là c’est la malchance!
Serge analyse aussi un peu plus loin la chose, « je n’étais pas aussi frais que j’aurai dû l’être avec 1000km dans les jambes et 2 jours d’arrêt qui ne furent pas du repos puisqu’il fallait préparer le bateau! »
Cette voie Nord, lui a été présentée comme une solution possible même si elle était plus longue et une logistique plus simple sur Pemba qu’à Angoche pour la gestion du bateau, c’était sans compter la proximité de Mayotte et Grand Comores, une zone où la clandestinité est légion et où le repos est impossible. Mais nous avons tous opté pour cette route et n’avons pas retenu la possibilité de retour sur Majunga pour un deuxième départ par une route sud.
Avec le recul, cette route nord était hasardeuse si l’on prend en compte que la rame ne suffit pas à contrer le vent et les alizées du sud-est et que la marge de manoeuvre est de 20° avec un vent non favorable et un courant peu puissant. Une fois passé Grand Comores, c’était voué à l’échec même si les routeurs annoncent à Serge le mardi 4 qu’il atteindra les côtes du Mozambique le vendredi soir. Mercredi soir, le vent se durcit et j’apprends par les locaux que cela va se durcir encore pour atteindre son paroxysme vendredi, samedi et dimanche. Serge est déjà affaibli physiquement et ce mercredi soir, il a toute conscience qu’atteindre le Mozambique est un leurre même si on lui dit encore le contraire et cela jusqu’au jeudi, jour où les routeurs lui annoncent une arrivée sur les côtes le dimanche soir. Pour les coureurs à pied, imaginez vous sur un 100km et au 80ème on vous annonce qu’il ne reste pas 20km mais 40km à un moment où vous êtes épuisé et où les conditions ne sont pas bonnes. Quel serait alors votre moral… Mais là Serge n’a pas le choix de jeter l’éponge il est dans sa galère.
Le jeudi, je commence à lui dire de faire attention à lui, de bien s’attacher que les conditions ne vont pas être faciles sans imaginer qu’il sera au coeur d’une tempête mais je sais que ça va secouer. D’ailleurs il me le confirme. La journée de jeudi, Serge mettra le nez dehors 5 heures, la mer est trop formée pour rester sur le pont. Et là pas de chance, son téléphone intérieur BGan ne fonctionne plus. Les communications vont dès lors être compliquées. C’est à nouveau pas de chance.
Le vendredi ce sera silence radio de la part des routeurs. Cette fois, Serge est dans la tempête et comme Serge le dira « lorsque tu sais à quoi t’attendre tu peux t’y préparer si tu ne sais pas c’est pire ». Cependant il est lucide et mes recommandations sur le fait que cela va secouer vont faire qu’il va préparer sa cabine à un éventuel retournement.
Une autre erreur, Serge ne visionnait pas les cartes de vents et de courants, étant guidé par les routeurs qui lui donnait son cap à suivre 2 fois par jour. Serge suivait le cap qui lui était donné ou tentait de le suivre avec tous les éléments mis à sa disposition, le safran, les ancres flottantes et la dérive et Dieu sait que c’était sa première priorité avec la sécurité. Serge restait attaché tout le temps dès qu’il était dehors. Il a tout fait pour suivre le cap demandé jusqu’à ramer un peu plus le soir, et tôt le matin et se lever X fois par nuit pour vérifier son cap, mettre ou enlever l’ancre flottante, jouer de la dérive, ajuster le safran.
Alors voilà, Serge s’est retrouvé dans une tempête sans s’y attendre réellement, il a compris tout seul qu’il n’atteindrait jamais les côtes et qu’il était en perdition sans savoir quand cela s’arrêterait et où cela allait le mener tout en s’inquiétant de savoir si nous allions pouvoir nous à terre pourvoir le récupérer un jour et où avec la crainte que les batteries ne lâchent et qu’il ne puisse plus être « tracé ».
Ce vendredi 8 mai, Serge et moi avons été seuls face à la tempête et si quelques jours avant la mer était « d’huile » dans cette zone, ce vendredi 8 mai, Serge s’est retrouvé seul dans un état physique entamé, avec pour seul objectif de garder toute sa lucidité et sa vigilance et de se préparer au pire, soit à se retourner.
le vendredi 8 mai à 21H45, j’appelle Maxime pour savoir ce qui est prévu au niveau météo pour le samedi et le dimanche et si la dérive continue où elle est susceptible d’emmener Serge et Middleton, il me répond que si ça continue comme cela plein nord, ce sera au large des côtes du Kenya et de la Somalie. Je raccroche et Serge doit me rappeler le samedi matin à 5H00. Avec ces éléments, il m’apparaît irraisonnable et irresponsable de laisser continuer Serge à dériver d’autant que j’ai peur qu’il se blesse ou ne s’assomme, c’est le risque lors des retournements. Autre malchance, les batteries depuis 3 jours montrent des signes de faiblesse! Et Serge commence à se dire que sans batteries, il ne sera plus localisable.
Est ce bien raisonnable de laisser Serge subir encore cette tempête 24 heures de plus ? Et si oui pour être où après? Dans une zone où les pirates s’en prennent aux petites embarcations pour faire des ôtages? La Somalie est une zone de non droit alors quand vous voyez cette dérive plein nord à vitesse grand V, vous vous demandez quelles sont les solutions où la solution la plus raisonnable.
Vendredi 8 mai à 22H00: Serge rappelle 3 secondes « Déclenches les secours »
Pour reprendre une image terrestre, si un coureur se retrouve au milieu du désert perdu dans une tempête de sable et qu’il ne sait plus où il est ni où il va que fait il? Et que ses moyens de communication sont entrain de faiblir ou ne fonctionnent que partiellement sans doute s’arrêterait il et déclencherait-il pas sa balise? Dans le cas de Serge, il n’y avait pas d’arrêt possible lui qui dérivait à 8km/ heure soit environ 200km en 24H00!
Serge sera resté 60 heures sans pouvoir rien faire, juste subir une mer déchainée bien malgré lui et il ne s’agit pas là d’incompétence ou de nullité. Il est resté calme, bien content d’être seul dans sa galère sans coéquipier à bord. Il est resté lucide se rappelant son stage de survie, rester lucide à tout prix. Il est resté nu dans sa cabine hermétique à transpirer portant son casque et calé avant de dire stop vendredi à 22H00. Cette dernière nuit, il s’est retourné à la merci de cette mer déchainée.
Voilà où nous auront menées quelques erreurs mais surtout une succession de malchances. Sachez que Serge marin ou pas, était tributaire d’un bateau à rames, sans voile, sans moteur, et qu’il fallait jouer avec des vents et des courants portants qui ne furent jamais au rendez-vous pendant 16 jours (exceptée la remontée fulgurante vers le nord entre le 28 et 30 avril). Il aura fait tout son possible pour suivre le bon cap sur une route Nord qui était somme toute difficile à tenir, voir impossible, avec pour comble de malchance cette tempête localisée où Serge se situait.
Bateau: Lorsque les secours ont été déclenchés, nous savions qu’il y avait une chance sur deux pour que Middleton ne soit pas remorqué. Le capitaine d’un navire se doit de récupérer l’individu en détresse mais pas le matériel et il est seul maître pour le décider. Serge est monté à bord du Far Scotsman en demandant à ce que Middleton soit remorqué, il apprendra tardivement que celui-ci n’a pas pu l’être malgré 2 tentatives par l’équipage à bord. A 9H30, je savais que Middleton avait été abandonné.
Tout le monde à fait son maximum: Serge mais aussi les routeurs, le capitaine, Timothy Boyd et son équipage du Far Scotsman. Nous les remercions chaleureusement.
Toute cette histoire ne relève ni de l’inconscience, ni de l’irréalisme, ni d’une idée folle. Ce qui était fou c’était cet enchaînement Terre-Mer et Mer-Terre. Mais voilà l’échec est cuisant, l’abandon de navire manifeste et Serge assume pleinement. Lundi il a passé sa journée à répondre à la presse, là où certains auraient sans doute fuit et refusé de parler.
Nous avons mis 2 ans à nous réveiller, à nous endormir, à respirer, à transpirer « Tour du Monde ». Nous réalisions la difficulté et surtout la longueur de ce challenge. Je savais Serge capable de tenir en mer car la solitude ne lui a jamais pesée et il a des ressources insoupçonnées. Mais là, Serge était passé sur la réserve, le voyant rouge était allumé et il ne savait pas combien il lui restait d’autonomie bien qu’il dise que dans des situations de survie, cette réserve est inépuisable, ce que nous appellerons l’instinct de survie.
Serge a été récupéré en état d’extrême faiblesse et marqué psychologiquement. L’histoire ne nous dira jamais ce qu’aurait été la suite de cette dérive infernale! Sans doute est-ce mieux ainsi? Nous n’avons pas de regrets d’avoir déclenché les secours mais nous sommes tous en état de choc et la cicatrice va mettre du temps à se refermer.
J’ai des tas de remerciements à adresser, concernant ces jours pénibles que nous venons de vivre. Je ferai un nouveau texte à ce sujet. Juste succinctement, merci à mes équipiers René, Bertrand et David qui ont vécu cette crise avec beaucoup de sang froid. Merci à tous de vos messages qui affluent et auxquelles je ne peux répondre sans pleurer…. Merci du fond du coeur!