Course poursuite contre la montre -

Depuis Nord Grand Comores, et les prévisions de vent sur zone, Serge sait que l’objectif ne sera jamais atteint. Il a cette certitude. Le tapis roulant de courant attendu n’est qu’un leurre si l’on tient compte du sens du vent qui sévit ici. Serge comprend très bien la situation. Après avoir beaucoup donné, peu dormi depuis 2 semaines, il sent que ses forces s’amenuisent et a peur de perdre sa lucidité et de se mettre en danger. Lui aussi dérive dans les méandres de sa conscience.
Mercredi 6 mai: Serge comprend qu’il ne pourra pas atteindre Pemba, je sens l’urgence, il faut agir car Serge est épuisé, je le sens dans sa voix, dans les quelques phrases que nous échangeons. Nous devons aller le récupérer pour le remettre dans le droit chemin voir vers un cap qu’il pourra tenir et le mettre à l’abri des mauvaises conditions météos qui arrivent.
Jeudi 7 mai : lueur d’espoir – Serge a maintenu un cap raisonnable au vu des conditions, il a pu ramer 4 heures passant le reste du temps enfermé dans sa cabine. Middleton a une marge de manoeuvre de 20° maximum lorsque les vents ne sont pas favorables. Lorsque le vent surtout soutenu arrive à 90° sur Middleton, impossible de tenir un cap. Rame ou pas rame de toute façon, l’objectif sud est ne peut être tenu. Serge le sait, je le sais, c’est juste du bon sens!
Vendredi 8 mai : Alerte rouge. Serge à 5H00 du matin, m’appelle il a toute conscience qu’il est à la merci d’une mer déchainée et nous savons que les conditions déjà difficiles vont se durcir jusqu’à dimanche. Il ne peut rien faire et subit cette remontée plein nord, impuissant. Il va si vite que je me demande si nous le rattraperons un jour. En 2 heures de temps, nous préparons les véhicules et nos affaires et nous prenons la route vers la Tanzanie en espérant que le ferry pour passer la frontière la plus proche fonctionne car sinon nous mettrons 4 jours pour rejoindre la Tanzanie. Notre urgence ne peut pas attendre 4 jours et j’espère que nous aurons de la chance. Un contact sur Palma, auquel j’ai demandé de se renseigner sur le sujet me dit que le ferry fonctionne. Ouf, nous prenons donc cette direction!
Escale à Palma pour la nuit, chez Andre qui nous offre une douche chaude. Nous dormirons dans les véhicules. Aucune nouvelle de Serge jusqu’à 19H00. Il m’appelle toujours en état d’alerte car son téléphone intérieur ne fonctionne plus depuis hier et il ne peut téléphoner que de dehors avec son Iridium. Il attend un bateau que nous avions trouvé sur Mtwara pour venir le récupérer mais je sais à cette heure précise que ce bateau ne prendra pas la mer: Serge est trop loin des côtes – Bateau pas assez puissant pour affronter ces conditions de mer.
Comme d’habitude lorsqu’il faut prendre une décision rapide dans un cas d’urgence, je pose les solutions avec les éléments que j’ai. Maxime me dira que Serge ne pourra pas atteindre la côte même plus haut lorsque l’Océan se sera calmé, ou peut être en Somalie…. David de Mtwara ne prendra pas la mer avec son petit bateau et nous à notre niveau on ne peut plus monter plus haut que la Tanzanie. Serge est en perdition dans un état qui commence à être critique et si les choses restent telles qu’elles sont, ce sera bientôt le pronostic vital de Serge qui risque d’être engagé.
Serge et moi devons nous rappeler samedi matin à 5H00 si nous y arrivons car comble de malchance, la communication n’a jamais été aussi mauvaise depuis jeudi, sans compter les réseaux téléphoniques déplorables des pays où nous sommes!
Ma décision est prise, demain je dirai à Serge qu’il vaut mieux pour lui que les choses s’arrêtent! J’appelle le CROSS, juste pour les aviser que Serge est en difficulté et en pleine dérive incontrôlée et incontrôlable mais que nous ne demandons pas d’intervention pour le moment. Il doit être entre 20H00 et 21H00.
22H00: Serge me joint par téléphone et me demande de déclencher les secours, je lui réponds que je ne vois plus d’autre solution, de toute façon et la communication coupe!
L’opération sauvetage débute, nous allons « dormir » 4 heures. Serge sera récupéré dans plusieurs heures et rapatrié soit sur Mayotte soit à Mtwara. Pour moi Mayotte est une destination qui représente une nouvelle galère tandis que nous serons demain sur Mtwara.
A 5H30, nous partons de Palma direction la frontière dont la piste est défoncée, nous planterons un des 4×4 dans une ornière boueuse. Puis nous arrivons au ferry qui relève plus de la barge. Celui ci traverse la rivière Ruwuma pour rejoindre la berge d’en face à 400 mètres de là.
A 7H30, la barge s’échoue sur un banc de sable, nous sommes coincés à 100 mètres de la berge et nous passerons 10H00 sur cette barge en attendant que la marée remonte et décoince notre embarcation. Entre 8H30 et 9H30, j’aurai le Cross 3 fois que je joins avec mon téléphone satellite. Pas de réseau ici! Pendant cette heure, je suis les opérations de sauvetage de Serge.
L’équipage du Far Scotsman a bien récupéré Serge à bord: OUF
Ils débarqueront Serge à Mtwara OUF OUF OUF car 1/2 heure plus tôt coincés sur la barge subissant les évènements, le Cross me dit qu’il y a des chances pour qu’il soit transféré à Mayotte par un bateau de la marine française.
Middleton n’a pas pu être remorqué – STUPEUR. Nous sommes anéantis
Les heures vont passer doucement, très doucement sur cette barge jusqu’à ce que nous en soyons libérés à 17H00. 5 km plus loin, se tient le poste frontière Tanzanien. Papiers pour les véhicules, visas, nous sommes en règle en un temps record, il est 19H00. Je n’ai aucune nouvelle de Serge car nous n’avons pas de réseau et je ne connais pas le numéro satellite du navire. Je sais juste qu’il est entre de bonnes mains. Il fait nuit, la piste est « pourrie », nous décidons de dormir au poste de police où nous sommes, pas la peine de prendre de risques de nuit, d’autant que le CROSS m’a dit que le bateau n’arriverait pas avant dimanche soir au mieux à Mtwara, à 40 km de notre position.
Nous dormons dans nos véhicules pour la seconde nuit. A 6H30, nous prenons la route direction Mtwara. David avec lequel j’ai été en contact, le propriétaire de l’unique bateau à moteur du coin, nous attend. Il est 7H45, lorsque nous arrivons. Je n’ai toujours pas pu parler à Serge et j’ai vu qu’il avait essayé de m’appeler depuis un téléphone sat. Nous venons tout juste de récupérer du réseau.
David de Mtwara, qui connait le capitaine du Far Scosman m’apprend à la descente du véhicule que le navire est à quai. Serge est avec les autorités Tanzanienne à bord. Nous sommes le dimanche 10 mai au matin, et je me demande dans quel état d’esprit je vais retrouver Serge.